Priorité pour le gouvernement français, la rénovation énergétique des bâtiments doit contribuer à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Pour y parvenir, l'État a pris diverses mesures, dont les réformes du diagnostic de performance énergétique (DPE) en 2021 et de MaPrimeRénov' annoncée pour le mois prochain. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les critiques s'abattent sur la gouvernance des pouvoirs publics concernant la rénovation énergétique.

Pluie de critiques sur la rénovation énergétique

Le DPE, opposable depuis 2021, attribue une note de A à G à chaque logement en fonction de sa consommation d'énergie primaire. Des notes d'une grande importance, puisque les logements classés E, F ou G, les passoires thermiques, seront progressivement exclus du marché locatif d'ici à 2034. De son côté, la réforme de MaPrimeRénov' vise à accélérer la rénovation énergétique des bâtiments en simplifiant et en augmentant les aides financières. Cependant, ces deux dispositifs présentent des imperfections qui risquent de produire des résultats contraires à ceux escomptés, alertent la CAPEB et l'Institut Sapiens.

La CAPEB sonne l'alarme

Alors que la nouvelle mouture de MaPrimeRénov' doit entrer en vigueur dans moins d'un mois, la CAPEB tire la sonnette d'alarme. Elle demande à la Première ministre de revoir d'urgence cette réforme. Selon le syndicat patronal des artisans du bâtiment, elle aura des conséquences néfastes sur l'ensemble du secteur. La réforme pourrait exclure un grand nombre de ménages devant entreprendre des travaux, faute d'aides ou en raison d'un reste à charge excessif à supporter.

Dès le 1er janvier 2024, les ménages occupant des passoires thermiques devront s'engager dans des rénovations multi-travaux pour bénéficier de MaPrimeRénov'. La CAPEB estime que seuls quelques-uns pourront réellement profiter de cette aide, en raison des conditions et des coûts associés. De nombreux foyers seraient ainsi laissés de côté en situation précaire sur le plan énergétique.

Entreprises en péril

L'approche gouvernementale est également critiquée car elle écarte de nombreux artisans de la rénovation énergétique. En effet, la réforme favorise les entreprises générales à leur détriment, en ne prévoyant pas la création de groupements temporaires de TPE. Avec pour conséquence néfaste une multiplication des cas de sous-traitance en chaîne, entraînant une perte de contrôle sur la qualité des travaux et des difficultés de coordination. Sans oublier les complications pour le maître d'ouvrage à faire valoir ses droits en cas de litige.

La réforme maintient par ailleurs la promotion du label RGE (Reconnu Garant de l'Environnement) sans y apporter d'améliorations. Ce dispositif s'est pourtant révélé inefficace contre la fraude et trop complexe, juge la CAPEB. En témoigne, selon le syndicat professionnel, la diminution constante du nombre d'entreprises qualifiées RGE au fil des ans.

L'isolation devrait être la priorité

La réforme flèche le parcours MaPrimeRénov' Décarbonation vers l'électricité et les pompes à chaleur. Elle privilégie ainsi l'installation de PAC aux dépens de l'isolation, alors qu'il est largement démontré que l'isolation thermique devrait être la priorité. Cela pénalise les ménages qui ne peuvent pas utiliser des PAC pour des raisons techniques ou géographiques. Et exclut au passage d'autres solutions économes en énergie (chaudières gaz THPE, hybrides), voire décarbonées (en cas de recours au gaz vert).

Enfin, en avantageant les rénovations globales, la réforme exclut les petits chantiers. Ceux-ci sont cependant essentiels pour atteindre l'objectif de massification des travaux de rénovation.

DPE : des défauts inacceptables

De son côté, le diagnostic de performance énergétique opposable joue aujourd'hui un rôle majeur dans le marché immobilier. Le DPE est en effet en position de décider quels biens peuvent être loués et à quel prix. En attribuant une note à chaque logement en fonction de sa performance énergétique, il exclut progressivement du marché locatif les passoires thermiques.

Les dates butoirs sont 2025 pour l'étiquette G, 2028 pour la F et 2034 pour la E. Cette incitation à la rénovation menace 5,2 millions de logements de retrait du marché locatif d'ici à 2028. Cela correspond à 18% du parc immobilier, et ne ferait qu'aggraver la crise actuelle du logement.

Selon une étude récemment publiée par l'institut Sapiens, les défaillances du DPE sont nombreuses. L'institut pointe notamment son focus sur la consommation d'énergie primaire. Celui-ci se fait au détriment de la consommation finale, critère le plus essentiel pour juger de la décence d'un bien. Les auteurs regrettent également la marginalisation du critère CO2, pourtant le plus représentatif pour juger de la contribution à l'atteinte des objectifs climatiques.

De plus, le DPE favorise le chauffage au gaz par rapport à l'électricité, ce qui ne reflète pas son impact environnemental réel. En France, l'impact du chauffage au gaz est 40 fois supérieur au chauffage à l'électricité en termes d'émissions de CO2.

Algorithme opaque

L'étude de l'institut Sapiens relève aussi que l'opacité entourant la construction de l'algorithme du DPE pose des problèmes de compréhension. Ce qui conduit à des notations contradictoires pour un même bien évalué le même jour. Le diagnostiqueur est souvent formé en seulement cinq jours. Il n'a pas la liberté nécessaire pour évaluer toutes les caractéristiques d'un bien, et ne fait que collecter des données qu'il reporte dans un logiciel.

Ces défaillances nuisent au marché immobilier et affaiblissent la confiance dans les outils de transition écologique. Pour améliorer le dispositif, les auteurs proposent plusieurs pistes.

  • Rendre transparent l'algorithme de construction afin d'en faciliter la compréhension et l'appropriation
  • Modifier la formule de l'algorithme pour prendre en compte la consommation finale, la différence entre la consommation primaire et finale, les émissions de CO2 et une composante de confort
  • Autoriser l'autodiagnostic par les habitants

Ces changements permettraient de se concentrer sur les véritables passoires thermiques. Ils favoriseraient une rénovation efficace sans compromettre le calendrier initial du gouvernement ni supprimer le DPE.

De son côté, la CAPEB appelle la Première ministre à corriger les lacunes de la réforme de MaPrimeRénov' avant sa mise en œuvre en janvier. Dans le cas contraire, elle craint de graves conséquences "tant pour les particuliers que pour les 622 000 entreprises artisanales du bâtiment".

Des répercussions immédiates

En attendant une éventuelle réaction du gouvernement, ACTIV souligne l'impact immédiat du calendrier annoncé. Les ménages propriétaires de maisons individuelles classées F et G qui souhaitent simplement réaliser un geste de chauffage ne pourront plus bénéficier de MaPrimeRénov' à partir du 1er janvier 2024. Ils devront alors obligatoirement réaliser en même temps des travaux d'isolation et de ventilation.

De même, les propriétaires de logements classés de A à E ne pourront plus bénéficier de MaPrimeRénov' pour des travaux d'isolation seuls. Dans ces deux cas, seuls pourront en bénéficier les travaux commandés jusqu'au 31 décembre.

Les critiques sur la politique du gouvernement en matière de rénovation énergétique sont fondées et unanimes de la part des acteurs du bâtiment. Des propositions concrètes et simples à mettre en œuvre sont faites. ACTIV souhaite ardemment que la voix de la raison l'emportera. Nous appelons de nos vœux des échanges entre les pouvoirs publics et les entreprises de la rénovation, en amont de toute réforme, et de manière urgente pour sauver une année 2024 qui s'annonce catastrophique.

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